Acte 1
Kennedy cligna des yeux, une fois d’abord, puis une seconde et enfin une troisième avant qu’ils ne restent ouverts. Une douce lumière filtrait par les volets entrouverts mais Kennedy se renfonça dans les couvertures pour retrouver l’obscurité. Il y régnait une chaleur des plus agréable et la jeune Tueuse s’étira de tout son long dans le lit en grognant de plaisir. Kennedy étendit son bras sur le coté du lit, à la recherche du corps de sa compagne. Mais elle ne rencontra que le vide. La jeune anglaise ressortit la tête des couvertures, cligna de nouveau des yeux à la lueur du soleil et embrassa la pièce du regard. Elle était seule. La Tueuse brune tendit l’oreille et grâce à son exceptionnelle ouie identifia la présence de Willow, probablement dans la cuisine. Elle se réinstalla confortablement sous les couvertures, imaginant un instant la sorcière apparaissant dans l’embrasure de la porte, le plateau du petit déjeuner dans les mains et un sourire malicieux aux lèvres. Mais Kennedy fut rapidement tirée dans sa fantaisie par son estomac qui se tordit douloureusement, lui rappelant qu’en tant que Tueuse, elle ne pourrait sans doute pas attendre très longtemps pour voir si sa petite amie faisait de son rêve une réalité. La jeune femme tenta d’ignorer ces appels en se plongeant plus profondément encore dans le lit mais réalisa dans l’instant suivant qu’elle ne pouvait échapper à elle-même. Sachant qu’elle n’aurait plus désormais de répit tant qu’elle n’aurait pas avalé quelque chose de consistant, Kennedy empoigna les couvertures avec conviction et les rejeta sur le coté. Puis, elle s’assit sur le bord du lit en soupirant avant de finalement se lever et de se diriger vers la porte après avoir enfilé un bas de survêtement qui traînait sur une chaise.
Une bonne odeur de café, de pain grillé et d’œufs brouillés la salua une fois qu’elle fut engagée dans le couloir qui menait au séjour et à la cuisine. La Tueuse parcourut les derniers mètres au pas de course et déboucha dans la cuisine qui était baignée d’une agréable lumière. Willow était là, s’affairant prés du comptoir. Elle était déjà habillée et apparemment prête à commencer sa journée de travail. Kennedy la rejoignit en un instant, se plaça derrière elle et passa ses mains autour de la taille de sa compagne tout en l’embrassant tendrement dans le cou.
Willow se retourna et Kennedy fronça instantanément les sourcils en constatant la pâleur et les traits tirés de la sorcière.
« Tu es rentrée tard hier soir » fit-elle, sur un ton inquiet et dénué de reproche.
Willow esquissa un sourire, claqua un baiser sur la joue de la Tueuse et retourna de nouveau à la tache qui l’occupait avant l’arrivée de son amie : préparer des œufs brouillés.
« Oui, je suis restée tard à la bibliothèque » répondit la sorcière à la dernière affirmation de sa petite amie. « Je t’ai préparé le petit déjeuner » continua-t-elle sur le même ton, comme si les deux phrases avaient un enchaînement logique.
Ce-disant, elle gesticula vaguement de la main vers la table. Kennedy put constater que Willow disait vrai : son assiette posée sur la table était remplie de tartines de pain grillé et de pancakes. A coté un bol de café fumant l’attendait ainsi que plusieurs pots de confitures et une tablette de beurre. La vue combinée à l’odeur de ce petit-déjeuner accentuèrent les gargouillements de son estomac et Kennedy lâcha Willow, non sans l’avoir embrassé une nouvelle fois dans le cou, pour aller s’asseoir à table et entamer les bonnes choses que lui avaient préparé Willow. Elle entreprit de beurrer du pain, de recouvrir ses pancakes de confiture et d’enfourner tout ça rapidement dans sa bouche avide. Bientôt, Willow vint à côté d’elle, une poêle à la main et entreprit de déposer les œufs brouillés qu’elle préparait dans l’assiette de la Tueuse qui ne se fit pas prier pour les entamer. Puis, elle se dirigea vers l’évier et entama la vaisselle. Kennedy arqua un sourcil interrogateur et surpris.
« Tu as déjà mangé ? » demanda-t-elle.
Willow haussa vaguement les épaules sans se retourner et sans se détourner de son activité.
« Je n’ai pas très faim »
Kennedy avala un nouvelle bouchée de pain puis une gorgée de café avant de reprendre.
« Tu as l’air fatiguée »
Willow eut un nouveau haussement d’épaule.
« J’ai fait des recherches assez tard hier soir »
« Des recherches sur quoi ?» interrogea de nouveau la Tueuse.
« Les démons du moment » répondit négligemment Willow. Et au ton évasif sur lequel elle répondait, il était évident qu’elle avait la tête ailleurs.
« Tout va bien ? » insista Kennedy.
A ce moment-là, Willow arrêta le robinet et posa délicatement la poêle qu’elle venait de laver dans l’égouttoir.
« Oui, oui » lui fit-elle sur un ton qui se voulait rassurant mais que Kennedy interpréta plus comme agacé.
Willow s’essuya les mains avec un torchon qui était posé sur le comptoir avant de le reposer puis de se diriger vers Kennedy qui mâchait avec force une nouvelle tartine de pain grillé. La sorcière déposa un nouveau baiser sur la joue de la jeune femme brune, lui offrit un pale sourire et se dirigea vers la sortie.
« Je file, Kenn, j’ai du travail. On se retrouve ce soir ? »
« Ce midi ? » interrogea Kennedy, le ton plein d’espoir.
Espoir que Willow ruina dans l’instant en secouant la tête.
« Je ne crois pas que j’aurais le temps de rentrer manger avec toi. J’ai beaucoup de choses à faire aujourd’hui. »
Kennedy essaya tant bien que mal de cacher sa déception et hocha piteusement la tête.
« Bien. A ce soir alors »
Elle voulut se lever pour embrasser la sorcière mais celle-ci avait déjà disparu et Kennedy entendit la porte d’entrée claquer alors qu’elle n’était pas encore complètement debout. Elle se laissa retomber sur sa chaise, l’air renfrogné et de toutes évidences contrariée. Son regard resta un moment sur la porte par laquelle Willow venait de disparaître avant de finalement se déplacer sur les pots de confiture qui trônaient devant elle au milieu des plats de pancakes et de pains grillés. Finalement, elle ré attaqua vigoureusement le petit déjeuner et décida de laisser libre cours à sa frustration en avalant tout ce que sa compagne lui avait si délicatement préparé.
***
Kennedy arpentait la pièce d’un pas décidé, les sourcils froncés, l’œil noir, l’air pensif, le tout indiquant que la Tueuse brune était en pleine réflexion. Devant elle, assises en tailleur sur le lit unique de la pièce, Vi et Rona la regardaient faire d’un air visiblement amusé. Les trois Tueuses avaient l’habitude de se retrouver ainsi, dans la chambre de Vi ou de Rona, chacune ayant eu le privilège de s’en voir attribuer une personnelle. Les deux amies étaient encore en tenue de nuit. Vi portait un basique pyjama jaune pâle qui lui donnait un air encore plus enfantin qu’à l’habitude alors que Rona avait traversé le couloir à l’appel de Vi en caleçon et tee-shirt. Toutes les deux avaient veillé tard la veille, passant le début de la soirée avec Kennedy. De ce fait, cette dernière les avait trouvé encore endormies toutes les deux quand, après avoir pris seule le petit-déjeuner préparé par Willow, elle avait déboulé dans le quartier des Tueuses et surgi dans la chambre de Vi sans crier gare. Bonne nature, Vi s’était immédiatement dit qu’il devait y avoir une urgence quelconque pour que Kennedy la réveille ainsi. Rona, qui était connue pour ses réveils difficiles, avait été plus difficile à tirer du lit. Fort heureusement, Kennedy avait pris soin de descendre quelques pancakes pour se faire pardonner ce réveil matinal et finalement, Rona s’était prêté de bonne grâce à cette réunion matinale.
« Tu es certaine que c’est si sérieux Kenn ? » demanda timidement Vi. « Willow travaille énormément en ce moment, elle est probablement fatiguée… »
« Je crois aussi que tu t’en fais pour rien Kenn » articula Rona, entre deux bouchées de pancakes. « Elle est rentrée tard après des heures de recherche à la bibliothèque, ce n’est pas la première fois que je sache. »
Kennedy arrêta son va et vient et se planta devant Vi et Rona.
« Elle est rentrée TRES tard » dit-elle en appuyant de façon très exagérée sur le très. « Elle ne rentre jamais si tard, jamais après moi, jamais après que je m’endorme ! » finit-elle par s’exclamer.
« Ah, nous y voilà ! » s’écria Rona d’un air à la fois triomphant et exaspéré. « Tu t’es endormie avant qu’elle rentre, c’est là ton problème. Mais tu sais, Kenn, ça ne signifie sûrement rien de plus que tu as besoin de sommeil. On n’arrête pas de patrouiller en ce moment, tu es crevée, voilà tout »
Kennedy leva les bras au ciel.
« Il n’y a pas que ça. Ce n’est pas qu’hier soir, je sais qu’elle travaille souvent tard à la bibliothèque mais ce matin, elle était… étrange. »
« Etrange ? » répéta Rona, incrédule.
« Etrange comment ? » interrogea Vi d’un ton doux et concerné.
« Etrange comme ‘j’ai été ensorcelée et je me transforme en une bestiole pas belle à voir’ ou étrange comme ‘je n’ai pas donné à Kennedy sa dose normale de câlins pour la journée’ ? »
Kennedy jeta un regard noir à Rona mais répondit cependant :
« Elle n’a quasiment pas décroché un mot ce matin, elle m’ a à peine parlé »
« Ce qui rentre dans laquelle des deux catégories précédemment citées ? » interrogea Rona d’un ton des plus sérieux.
Ce qui lui valut un nouveau regard noir de la part de Kennedy et fit arquer un sourcil sévèrement à Vi. Rona jaugea la réaction de ses deux amies puis prit un air sérieux avant de sa racler la gorge et de se tourner vers Kennedy :
« Ecoute Kenn, on ne demande pas mieux que de t’aider. Mais essaie d’être claire avec nous… » Elle hésita un instant puis demanda :
« Tu crois qu’elle voit quelqu’un d’autre ? »
La mâchoire de Kennedy s’ouvrit en grand sous l’effet de la surprise, indiquant on ne peut plus clairement aux deux Tueuses que cette idée ne l’avait pas effleuré une seconde.
« Bien sur que non » s’écria-t-elle horrifiée. « Comment peux-tu penser à une telle chose Rona ! Willow n’est pas comme ça et… Comment… »
Rona agita les bras pour lui faire signe de se calmer et de la laisser parler.
« Du calme, Kenn, du calme. Mais comprends-moi, tu débarques ici aux aurores pour… »
« Il est plus de neuf heures Rona » fit remarquer Vi, placidement.
Rona haussa les épaules.
« Peu importe. C’est tôt pour nous, c’est ce que je veux dire, on se comprend. Ce que je veux dire, Kenn, c’est que tu débarques ici toute affolée parce que Willow est rentrée tard hier soir et ne parlait pas ce matin. Pour moi, ça ressemble tout bonnement à une inquiétude de jalouse »
Kennedy continua de regarder Rona comme si cette dernière venait de lui suggérer que les Tueuses devraient participer aux jeux olympiques. L’idée qu’exprimait Rona lui paraissait si saugrenue que la Tueuse brune, à la langue d’ordinaire si bien pendue, resta sans voix. Ce fut Vi qui vint à son secours.
« Je crois que les choses sont très simples Ro » fit-elle d’un ton compréhensif. « Willow ne semble pas être aussi bien que d’habitude, ce qui inquiète Kennedy qui ressent le besoin d’en parler. Donc elle se tourne vers ses amies. »
« Nous » ajouta-t-elle pour Rona comme si cette dernière n’avait pas suivi le sens de ses paroles.
« Il n’y a pas forcément quelque chose de surnaturel ou de dangereux là-dedans. Juste une petite amie un peu préoccupée qui en parle avec deux amies. Rien que des choses très normales finalement. »
Rona la regarda avec incrédulité et Kennedy lui donna un sourire de gratitude. Rona les regarda toutes les deux alternativement et finit par se ranger de l’avis de Vi. Elle s’appuya contre les murs derrière elle et prit le ton le plus compréhensif qu’elle put pour demander :
« Donc, explique nous plus clairement ce qui te paraît… anormal ? »
Kennedy saisit une chaise qui était rangé prés de la petite table qui composait l’autre mobilier de la chambre après le lit, la retourna et l’enfourcha pour se mettre face à ses deux amies.
« C’est cette façon qu’elle avait de ne rien dire ce matin. Elle s’est levée sans me réveiller, a préparé le petit-déjeuner et est partie travailler cinq minutes à peine après que je me sois levée… »
« Elle t’a fait le petit déjeuner » fit observer Rona.
« Elle fait TOUJOURS le petit déjeuner » répondit Kennedy, une lueur amoureuse dans le regard.
« Et ? » interrogea Rona qui ne voyait toujours rien d’alarmant.
« Et ? Et elle me répondait à peine quand je lui parlais, elle ne m’a pas réveillée. Je suis sure que si je ne m’étais pas levée, elle serait partie sans me dire un mot et je ne l’aurais pas revue avant ce soir ! Ca ne lui ressemble pas, c’est tout. Enfin, c’est de Willow dont on parle, Willow qui pourrait te faire des discours sur la cuisson du pain dans le four pendant dix minutes ! Willow qui parle, Willow qui babille, Willow qui… »
« Ok, Kenn. » l’interrompit Rona. « Je crois que je te suis »
« Elle est peut-être préoccupée par les démons » avança Vi. « Les attaques n’arrêtent pas ces derniers temps. Si tu rajoutes ça à son travail de recherche des Tueuses à travers le monde, elle n’arrête pas en ce moment. Elle a beaucoup de responsabilités. Elle doit être inquiète et fatiguée et stressée. »
Rona hocha vigoureusement la tête, presque avec enthousiasme.
« Vi a raison ! Je crois que Will a juste besoin de faire un break, Kenn. De sortir du boulot et de penser à autre chose, de se détendre. »
« Exactement » renchérit Vi. « Je crois que tu devrais l’emmener sortir ce soir. Oublier le travail »
« Sortir ? » interrogea Kennedy.
« Oui, sortir » reprit Vi. « Tu pourrais l’emmener au cinéma, ou au théâtre, ou au restaurant, que sais-je ! Un truc sympa et divertissant, rien que toutes les deux. »
« C’est une très bonne idée » renchérit Rona. « Et puis en rentrant, tu pourrais lui masser le dos, les pieds et puis… Et puis vous ferez ce que vous voudrez quoi… »
Kennedy hocha lentement la tête, laissant les idées de ses amies l’atteindre.
« C’est vrai qu’on ne s’est pas beaucoup retrouvé ces temps-ci » fit-elle lentement et pensivement. « Avec tout ce qui se passe, on est toutes les deux à fond boulot. Et après tout, elle n’a pas la robustesse d’une Tueuse. Et tellement plus de responsabilités. »
Elle se tut, sembla réfléchir quelques instants puis son attention retourna sur Vi et Rona qui la regardaient en attendant simplement ce qu’elle avait à dire. Finalement, Kennedy se leva d’un bond et remit sa chaise en place, tout en disant aux deux autres Tueuses :
« Vous avez raison, elle a besoin de se distraire. Je vais la sortir ce soir. Je vais d’ailleurs de ce pas la chercher et lui proposer. Merci de m’avoir écoutée et merci du conseil. »
Puis elle se dirigea vers la porte et sortit d’un pas vif juste après avoir ajouté :
« Et désolée pour le réveil matinal »
***
Après réflexion, Kennedy avait décidé de profiter de la pause de midi de Willow pour mettre le plan suggéré par Vi et Rona à exécution. A midi pile, elle était donc postée devant la salle de l’université dans laquelle Willow donnait son dernier cours de la matinée.
Les mains enfoncées dans les poches de son baggy noir, un tee-shirt crème bien ajusté sur le dos, ses cheveux bruns ramenés en une queue de cheval, la Tueuse sifflotait joyeusement en attendant, appuyée contre le mur face à la porte, heureuse de la surprise qu’elle réservait à la sorcière.
Le cours se termina à midi dix comme prévu, et Kennedy vit la cohorte d’étudiants sortir peu à peu de la classe. Dix minutes plus tard, Willow sortit à son tour, les bras chargés de livres et de cahiers, discutant avec un étudiant. Kennedy l’écouta la remercier pour ses conseils et le regarda s’éloigner dans le couloir d’un pas vif pendant que Willow verrouillait la porte de la salle de classe.
Dés qu’elle eut fini, la Tueuse traversa lestement le couloir et délesta la sorcière de ce qu’elle portait.
« Hé ! Toi ! » fit Willow qui n’avait pas remarqué sa présence avant.
« Oui, moi » répondit Kennedy en souriant avant de se pencher en avant pour embrasser sa petite amie.
Cette dernière répondit à son baiser presque machinalement au grand dam de la Tueuse, avant de commencer à marcher dans le couloir, entraînant Kennedy par le bras.
« Qu’est-ce que tu fais là ? » demanda Willow.
« Je… » commença Kennedy.
« Je t’ai dit que je n’aurais sûrement pas le temps de déjeuner avec toi » l’interrompit la rouquine.
Kennedy fit la moue et déglutit péniblement, essayant rapidement de dissimuler sa déception devant les manières abruptes de la sorcière.
« Je sais, je sais » répondit-elle en réaffichant son sourire. « Mais je ne pouvais pas me passer de toi toute la journée, alors je suis passée te faire une surprise »
Ce-disant, Kennedy s’était arrêtée devant Willow et l’embrassait de nouveau. Pour le première fois depuis son arrivée, Willow lui sourit. Un sourire las et timide, mais un sourire tout de même ne put s’empêcher de penser la Tueuse.
Elles reprirent leur marche en silence, Willow perdue dans ses pensées, Kennedy cherchant les mots pour inviter son amie à une soirée de détente le soir-même.
Willow s’arrêta devant une porte et reprit sa pile de livres des bras de Kennedy.
« Attends-moi là une seconde »
Kennedy fit comme il lui était demandé et regarda Willow entrer dans la pièce, ouvrir un casier, y déposer ses affaires avant de la rejoindre.
Les deux jeunes femmes reprirent leur marche dans les couloirs jusqu’à se retrouver à l’extérieur.
« Bien, je dois retrouver les Observateurs maintenant pour une réunion de travail et de recherche. Tu n’as pas entraînement aujourd’hui ? » interrogea Willow alors qu’elles s’arrêtaient sur le parking de l’université.
« Si, si. » répondit rapidement Kennedy. « Après le repas »
« Bien, c’est vraiment très gentil à toi d’être venue » fit Willow en s’approchant pour embrasser la Tueuse. « On se retrouve ce soir ? »
« Attends Will »
Kennedy la retint par le bras alors que la sorcière tournait déjà les talons. Kennedy soutint le regard interrogateur de Willow et s’éclaircit la voix avant de commencer.
« Voilà, je sais que l’on a beaucoup de travail en ce moment mais je me suis dit que qu’un petit break te ferait du bien. J’aimerais t’inviter à sortir ce soir. Nous pourrions aller au restaurant toutes les deux ? Un ptit resto en ville en amoureuses, ce serait sympa non ? »
Kennedy regarda Willow les yeux brillants d’espoir, espérant que sa compagne apprécierait l’idée autant qu’elle. Willow ne répondit d’abord rien et la considéra en silence, un air teinté d’incrédulité peint sur le visage. Lorsque enfin elle gratifia Kennedy d’une réponse, ce fut loin d’être ce que cette dernière avait attendu :
« Quoi ? » fit-elle d’un ton qui ne laissait transparaître ni surprise joyeuse, ni aucun plaisir d’aucune sorte.
Le sourire de Kennedy disparut instantanément en voyant l’expression de la sorcière mais elle refusa d’abandonner pour autant.
« Je pensais que nous pourrions sortir toutes les deux ce soir… » répéta-t-elle d’une voix mal assurée.
« J’ai compris ça Kenn » s’anima Willow. « Mais comment peux-tu proposer ça ? »
« Will… » Commença Kennedy.
“Comment peux-tu proposer ça maintenant?” s’écria Willow d’une voix emplie de lassitude et de colère contenue.
« Will… » répéta Kennedy, mortifiée par la réaction de la rouquine.
« Comment peux-tu proposer ça maintenant ? » répéta Willow. « Avec tout ce qui se passe ? Tout ce dont je dois m’occuper ? »
« Je sais Will » répondit Kennedy en gardant son calme. « Je pensais justement qu’une soirée de détente te ferait le plus grand bien. Tu as besoin de souffler et… »
« Non » répliqua Willow avec force.
« Will » insista encore Kennedy, les yeux presque suppliants, en retenant par le poignet une Willow prête à s ‘éclipser.
Mais Willow ne semblait pas disposer à la laisser parler et l’interrompit de nouveau.
« Ecoute » fit-elle en essayant de garder un ton très neutre. « Je comprends que tu aies besoin de te détendre et de t’amuser. Tu peux sortir si tu veux ce soir. Avec Vi et Rona. Ou qui tu veux. Pas de problème. J’ai du travail de toutes façons. »
« Will, c’est avec toi que je veux… »
« Non » répéta encore Willow en secouant énergiquement la tête. « Je ne peux pas. N’insiste pas »
La voix trahissait la colère de la rouquine et un sentiment de malaise indéfinissable s’empara de la Tueuse devant ces éclats de voix inhabituels. Willow se dégagea de l’emprise de Kennedy et prit quelques pas de recul.
« Je ne peux vraiment pas. Je t’en prie, n’insiste pas… » souffla-t-elle si bas que Kennedy l’entendit à peine.
Puis elle lui adressa un faible sourire d’excuse et s’éloigna d’un pas rapide. Kennedy resta un long moment à regarder dans la direction où avait disparu la sorcière, cherchant désespérément où elle avait fait une faute et un profond sentiment de déception ancré en elle.
« Tu parles d’une idée géniale… » maugréa-t-elle finalement en reprenant le chemin du centre d’un pas traînant.
***
Il s’agissait d’un bar plutôt chic, à l’ambiance malgré tout accueillante et décontractée. La décoration y était simple et de goût et la clientèle discrète et de bonne composition. Au bar, l’une des serveuses, la peau mate, les cheveux longs, noirs et bouclés, s’affairait de client en client, servant les boissons et distribuant ici ou là, clins d’œils, blagues ou paroles réconfortantes.
A une extrémité du bar, un homme encore jeune essayait de façon évidente d’attirer son attention et riait avec elle dès que l’occasion se présentait. Une entraînante musique latino rythmait l’ambiance décontractée et chaleureuse des lieux.
Une musique gaie à des années lumières de l’humeur sombre de Willow.
La sorcière était elle aussi assise au bar, loin des autres consommateurs, un verre au liquide sombre posé devant elle. Willow le fixait d’un air absent et un observateur aurait pu imaginer qu’elle cherchait dans les tréfonds de son verre d’alcool les réponses à de mystérieux problèmes, tant rien ne semblait devoir briser la concentration silencieuse de la rouquine.
Willow n’avait, semblait-t-il, pas bu grand chose, si l’on en croyait le niveau encore haut du liquide dans son verre.
« Ca n’a pas l’air d’être la forme, hein ? »
Willow sursauta et redressa la tête vivement. La serveuse se trouvait devant elle, un sourire compatissant sur le visage.
« Pardon ? » demanda Willow qui n’avait ni remarqué son approche, ni entendu sa question.
La jeune femme secoua ses boucles brunes et s’appuya sur le bar en face de Willow.
« Dure journée ? » s’enquit-elle.
Willow grimaça légèrement.
« Non » fit-elle d’abord. « Pas spécialement » corrigea-t-elle.
Devant l’air dubitatif de la serveuse, elle reprit :
« Enfin, un peu peut-être… » Elle sembla réfléchir. « J’ai l’air d’avoir passé une mauvaise journée ? »
Willow tenta d’offrir un pauvre sourire à la serveuse mais ses maxillaires semblaient refuser de lui obéir et l’effort à faire pour les forcer à suivre sa volonté lui semblait insurmontable.
« En fait, oui » lui répondit la serveuse. « Une vraiment mauvaise journée »
Willow haussa les épaules.
« Peut-être que oui alors » murmura-t-elle. « J’ai sans doute eu de meilleures journées »
La serveuse sembla attendre qu’elle ajoute quelque chose. Mais rien ne vint. Elle baissa alors les yeux vers le verre presque plein de la rouquine.
« Je t’offrirais bien un verre » fit-elle en désignant celui que tenait Willow. « Mais tu as à peine entamé le tien »
Un bruit de verre que l’on frappe sur le comptoir la fit se retourner et elle vit l’homme de l’autre côté du bar lever son verre vide dans sa direction avec un grand sourire. La serveuse se tourna de nouveau vers Willow et poussa un léger soupir d’ennui.
« Fais-moi signe quand tu auras fini »
Puis elle retourna à son devoir, laissant Willow de nouveau seule dans son monde. Un monde dans lequel elle était si bien enfermée qu’elle ne remarqua même pas quand un homme d’une cinquantaine d’année s’installa sur le tabouret juste à côté d’elle et la dévisagea quelques secondes avec intérêt et curiosité.
« Bonsoir » lui dit-il finalement.
Willow sursauta de nouveau et se tourna vers le nouvel arrivant. Il était plutôt bel homme, le cheveu grisonnant, le teint pâle, les yeux clairs, oscillant entre le bleu et le vert.
« Bonsoir » répondit poliment Willow.
« Que buvez-vous ? » demanda l’homme. « Juste pour m’aider à choisir. Bien que cela n’ait pas l’air très bon si l’on en croit le peu que vous en avez bu »
Willow considéra son verre puis regarda l’étranger de nouveau.
« Si, si, c’est très bien » fit-elle en hochant la tête avec véhémence. « C’est un simple rhum coca » ajouta-t-elle pour répondre à la question initiale.
L’homme hocha la tête.
« Eh bien, je vais faire comme vous. Va pour un rhum coca »
Ce disant, il fit signe à la serveuse qui s’approcha et prit sa commande. Lorsque le verre fut posé devant lui, l’homme en but deux petites gorgées avant que son attention ne revienne vers Willow.
« Je m’appelle John Brice » lui fit-il. « Je suis en voyage d’affaires, je ne suis pas d’ici. Comme vous je dirais »
« Willow Rosenberg » répondit la rouquine.
John lui sourit chaudement, visiblement heureux d’avoir appris son nom.
« Vous allez sans doute me trouver indiscret, mais je dois avouer que j’ai une question à vous poser si vous m’y autorisez. »
Willow hocha la tête, intriguée par les manières de l’homme assis à côté d’elle.
« J’avoue me demander ce qu’une jeune femme comme vous peut bien faire ici à cette heure-ci. Vous n’avez pas l’air d’être le genre à arpenter les bars la nuit. »
« Il y a un genre pour arpenter les bars la nuit ? » demanda Willow.
L’homme sourit de nouveau.
« Un point pour vous. » lui dit-il joyeusement. « Mais je pense que s’il y avait un genre, vous n’en seriez pas. »
Willow le dévisagea à son tour avec curiosité.
« Et pourquoi cela ? » interrogea-t-elle.
« J’imagine qu’une jeune femme comme vous doit avoir un mari ou un copain qui l’attend à la maison » répondit-il sur un ton bienveillant.
Willow hésita sur la conduite à tenir. L’homme avait raison : elle n’était pas du genre à venir parler de sa vie avec le premier venu dans un bar quelconque après quelques verres de trop. D’un autre côté, elle n’avait bu que quelques gorgées et échanger quelques mots avec un inconnu ne pouvait lui faire de mal.
« Une petite amie en vérité » corrigea-t-elle après un instant de silence.
John ne parut pas choqué outre mesure par cette révélation. Il ne grimaça pas et ne montra aucun signe qu’il s’appêtait à partir en apprenant qu’elle était gay.
« Une petite amie donc. » répéta-t-il.
Il but deux nouvelles gorgées de son rhum-coca, imité en cela par Willow.
« Et c’est à cause d’elle que vous êtes là toute seule ? »
Willow hésita de nouveau. Elle se sentait étrangement en confiance et pourtant, son côté rationnel lui ordonnait de garder ses sentiments et ses réflexions pour elle. Le cœur et le désir de se confier finirent par l’emporter sur la raison.
« Non. Enfin pas vraiment. En fait, elle voulait m’inviter à sortir ce soir »
John Brice la regarda avec étonnement et l’encouragea à continuer.
« Et qu’y a-t-il de mal à cela ? »
« C’est juste que ce soir, je n’avais pas le cœur pour une quelconque soirée romantique. »
Elle se tut et John ne dit rien, attendant qu’elle continue d’elle-même, ce qu’elle fit presque aussitôt.
« Je n’avais pas envie de rentrer à la maison. Pas envie de me retrouver face à elle.»
Le visage de Willow était devenu plus lugubre encore que précédemment et sa voix un souffle presque inaudible.
« Et ce n’est pas sa faute. Elle n’y peut rien et elle ne mérite pas ça. »
Willow se tourna vers son interlocuteur pour voir s’il comprenait. Celui-ci la regardait bien en face, une lueur de compréhension et de sympathie dans le regard. Il n’eut rien besoin de demander pour que Willow explique ce qu’elle voulait dire.
« Il y a des moments… Des jours… où je ne peux pas supporter d’être avec elle. C’est plus fort que moi… »
« Et aujourd’hui est l’un de ces jours ? » interrogea l’homme, la voix emplie de compassion.
Willow hocha la tête. Sa main était à présent crispée sur son verre désormais à moitié plein et elle combattait avec difficulté les larmes qu’elle avait senti monter en elle depuis le matin, ou peut-être la veille ou encore le jour d’avant. Elle n’aurait su le dire. Le temps ne comptait plus vraiment quand elle vivait une période comme celle-ci.
« Avant elle… » expliqua doucement Willow, le regard fixé sur son rhum-coca. « J’ai été très amoureuse d’une autre. Une femme que je devais aimer pour toujours. Nous étions destinées à être ensemble pour toujours. Je le savais. J’y croyais… »
Willow se tut, tenta de ne pas se laisser submerger par le flot d’émotions qui l’assaillait. Elle déglutit péniblement et se dégagea la gorge avant de reprendre, plus bas encore que précédemment.
« Aujourd’hui, cela fait deux ans exactement qu’elle a été tuée sous mes yeux. »
Willow ne leva pas la tête et ne put voir le regard brillant que John posait sur elle. Enfermée dans ses souvenirs et sa souffrance, tous ses efforts étaient concentrés sur le simple fait de respirer. Inspirer. Expirer. Elle essaya de décontracter sa gorge nouée, de chasser les larmes qui lui brulaient les yeux.
« Je comprends » lui dit doucement John d’un ton qui se voulait apaisant. « J’ai moi-même déjà vécu ce type de drame. Des jours comme ceux-ci, je suppose que vous vous en voulez pour l’avoir plus ou moins remplacée ? Et plus que jamais vous voudriez que rien de tout cela ne soit jamais arrivé »
Willow hocha la tête.
« C’est tellement injuste. » murmura-t-elle. « Parfois, j’aimerais juste qu’elle soit là avec moi, j’aimerais qu’elle n’ait jamais été tuée. J’aimerais avoir une autre chance »
John porta son verre à ses lèvres et but pensivement plusieurs longues gorgées. Il laissa l’alcool descendre lentement le long de sa gorge et réchauffer ses veines tout en observant pensivement la rouquine qui ne bougeait toujours pas, le regard perdu apparemment dans son verre, plus probablement dans un monde qui n’appartenait qu’à elle. John sembla chercher des mots pour réconforter la jeune femme mais ne trouvant rien d’approprié, il se contenta de lui tapoter amicalement l’épaule et de lui offrir un sourire chaleureux.