Acte 4

 

Ils avaient fermé les grandes portes de la salle qui servait de lieu de réunion. Les hommes avaient dégagé le centre de la pièce où désormais Giles et Dawn disposaient avec délicatesse des ingrédients apportés par les deux sorcières.

Giles avait insisté pour se hâter pour tenter de faire reprendre son vœu à Willow car la nuit n’allait pas tarder à tomber et il redoutait une attaque massive de the First. Buffy avait approuvé à contre cœur la décision de précipiter leur action et Tara s’était contentée de hocher la tête et de demander quelques minutes de plus avec Faith. Willow qui refusait de la lâcher d’une semelle, avait proposé de l’accompagner mais Tara avait décliné. Willow avait donc du se résoudre à attendre l’heure fatidique en observant d’un coin de la pièce, Giles et Dawn préparer ce qu’elle-même refusait de faire.

« Hé, ça va ? »

Willow s’arracha de sa contemplation pour se tourner vers Buffy qui venait de poser sa main sur son épaule. La voix de la Tueuse se voulait douce et elle essayait d’afficher un sourire amical sur son visage. Un sourire de meilleure amie, pensa Willow.

« Ca va ? » Répéta gentiment Buffy alors que Willow restait muette.

La rouquine fixa son regard sur le visage de son amie. L’épuisement qu’elle y avait vu plus tôt était toujours là. Les marques qu’avaient laissés des mois de luttes et de souffrances aussi. Mais quelque chose avait changé. Au fond des yeux de la Tueuse blonde, Willow apercevait maintenant de l’espoir. Et plus profondément encore, de l’envie. De l’envie pour cette vie qu’avait décrite Willow. Une vie sans vampires, ni démons. Juste elle et Dawn à Rome.

Et Willow sentit ses entrailles se tordre entre le plaisir et le dégoût que ce renouveau chez Buffy lui inspirait. Plaisir de voir son amie retrouver une once d’espoir. Dégoût car la vie de Tara était le prix à payer pour cela.

« Non, ça ne va pas vraiment » répondit finalement Buffy pour elle. « C’était une question idiote, n’est-ce pas ? »

Willow lui offrit un pauvre sourire. Une partie d’elle avait envie de lui hurler combien la question qu’elle venait de poser était stupide et combien la réponse était évidente. Mais cette partie-là se tut et laissa la parole à une Willow plus calme.

« On trouve rarement mieux à dire dans ce type de situation je crois » répondit-elle sur un ton monocorde.

Buffy se percha sur une table qui avait été poussée contre le mur prés duquel Willow se tenait.

« C’est injuste » enchaîna Willow. « Ce matin, la vie semblait si belle. Oh bien sur, je savais qu’il y avait quelque chose d’étrange là-dessous. Mais elle était là. Tu ne peux pas imaginer comment c’était de la sentir de nouveau prés de moi, de respirer son odeur, d’entendre le son de sa voix… Je croyais que je rêvais tout éveillée. »

Willow se tut et Buffy se contenta de la regarder retourner dans ces quelques instants de bonheur éphémère.

« Et puis avec chaque pas que je faisais dans ces couloirs » reprit la rouquine. « Chaque rencontre, chaque mot, le rêve se transformait peu à peu en cauchemar. Tara amie avec une Faith mourante. Kennedy et sa jambe coupée à la hache. Toutes ces potentielles blessées. Rona, Vi, Robin. Tous tués. Et vous tous. Vos airs hagards. Ce désespoir qui semble presque vivant tant on le ressent à chaque fois que l’on respire. »

Willow se tut de nouveau. Buffy chercha son regard mais les yeux de son amie fixaient un point indéfini sur le mur de l’autre côté de la pièce. La Tueuse voulut dire quelque chose, n’importe quoi qui pourrait apporter un peu de réconfort à la sorcière. Mais son cerveau sembla refuser de parvenir à rassembler une idée cohérente. Et après un instant de silence, Willow se tourna finalement vers elle.

« Mais tu vois, j’aurais pu continuer à vivre ce cauchemar. Parce que sa présence le rendait supportable. Mais ça ne peut pas marcher comme ça. Nous avons toujours des choix à faire. Des choix injustes. Sa mort a fait pencher la balance Buffy. »

La voix de Willow dérailla légèrement sur ces derniers mots et Buffy ne put s’empêcher d’attirer la sorcière vers elle pour lui apporter le peu de réconfort qu’elle pouvait.

« Et savoir que cela va sauver le monde ne rend pas les choses un peu plus faciles ? » Demanda-t-elle gentiment alors que Willow se laissait aller dans ses bras.

Buffy sentit Willow secouer la tête contre son épaule.

« Non » répondit-elle tout bas. « Non et pourtant cela devrait. Je ne devrais même pas être là en ce moment. Mais penser que je vais être séparée d’elle encore une fois… »

Willow n’acheva pas et enchaîna sur autre chose, toujours immobile contre le corps de Buffy.

« Hier encore, j’aurais donné n’importe quoi pour une journée de plus avec elle. Et maintenant que cette journée m’a été donnée, je crois que c’est juste pire… »

Buffy passa ses deux bras autour des épaules de son amie et la serra contre elle, émue aux larmes par le désespoir qu’elle semblait avoir échangé avec Willow.

« Will, n’y a-t-il rien ni personne qui ne t’attende dans cet autre monde ? »

« Si, si… » répondit Willow après un temps d’hésitation au cours duquel elle revit la silhouette de « sa » Kennedy. Forte, droite, impétueuse. « Tu ne voudrais pas croire qui d’ailleurs » ajouta-t-elle d’un ton plus léger.

Buffy redressa Willow afin que les deux filles se fassent face de nouveau.

« Ne me dis pas Faith, Will » lança-t-elle à moitié sérieuse.

Willow laissa échapper un petit rire et essuya ses larmes d’un revers de la main.

« Non, non. Et maintenant que je sais qu’elle et Tara auraient pu être aussi proches, aucune chance ! » Ajouta-t-elle en grimaçant.

« Jalouse, va ! » La taquina Buffy, heureuse de voir le sourire, aussi léger soit-il, revenir sur le visage de sa meilleure amie.

Willow haussa les épaules négligemment, puis se tourna vers la grande porte alors que Tara la franchissait au même moment.

« Je crois que cela va être l’heure » fit-elle, redevenant sombre instantanément.

Buffy hocha la tête et sauta au bas de son perchoir alors que déjà, Willow s’éloignait pour rejoindre Tara. Buffy se précipita pour la retenir et l’attrapa par le poignet.

« Will… »

La sorcière se retourna et la considéra avec des yeux interrogateurs. Les lèvres de Buffy se plissèrent en un sourire hésitant et sa bouche s’ouvrit une première fois sans qu’elle ne dise rien, avant que finalement, elle ne lâche simplement :

« Je voulais juste que tu saches combien je suis désolée… »

Willow fronça les sourcils, incertaine de comprendre exactement de quoi parlait la Tueuse.

« D’avoir échoué » précisa Buffy. « Pour Warren. Pour Tara »

Willow la regarda sans rien dire, cherchant peut-être quelque chose à répondre. Les deux amies restèrent ainsi quelques secondes à se considérer en silence. Finalement, Willow sourit simplement à Buffy avant de se retourner de nouveau vers le centre de la pièce.

***

L’incantation n’avait pas duré longtemps. Willow avait déjà invoqué D’Hoffryn et elle répéta les mots machinalement comme une leçon bien apprise, assise en tailleur au milieu d’un cercle tracé par Giles, une main sur le visage. Autour d’elle, elle pouvait sentir la tension de tous ses amis grandirent à mesure qu’elle psalmodiait les mots.

Lorsque enfin elle eut terminé, Willow ouvrit lentement les yeux et abaissa la main qui masquait ses yeux. Elle ne put empêcher son cœur de se serrer en voyant la silhouette qui se tenait devant elle et qui la regardait d’un air presque sévère.

« Miss Rosenberg. Heureux de vous revoir » dit simplement D’Hoffryn.

Willow esquissa un sourire discret de bienvenue bien qu’en cet instant, plus encore que lors du précédent, elle ne trouvait aucune raison qui pourrait lui donner envie de sourire. Alors que D’Hoffryn la regardait dans l’expectative, Willow se força à se rappeler la raison pour laquelle elle avait invoqué le maître des démons vengeurs.

« D’Hoffryn » dit-elle simplement, sachant ce qu’elle avait ensuite à dire mais incapable de formuler les mots.

« Pourquoi m’avez-vous demandé ? » la pressa le démon en la fixant d’un regard incisif.

Willow sentit tout le courage qu’elle avait rassemblé pendant les instants précédents s’évanouir avec cette simple question. Elle tressaillit et ferma les yeux lorsqu’elle vit Giles en face d’elle, l’encourager d’un petit sourire et d’un léger signe du menton. Elle se força à revoir Faith mourante dans son lit, à revoir le corps meurtri de Kennedy, à revoir l’infirmerie et toutes ces potentielles blessées et effrayées, elle se força à regarder les visages amincis, sales et désespérés qui l’entouraient. Elle se força à penser à the First et son armée qui s’apprêtaient, là dehors, tapis dans l’ombre, à donner le coup de grâce.

Alors que dans une autre réalité, Faith et Kennedy étaient les leaders d’une nouvelle génération de Tueuses, Giles le chef d’un nouveau conseil, Buffy et Dawn deux jeunes filles comme les autres. Mais lorsque son regard se posa sur Tara qui tentait de lui sourire alors que se rapprochait l’heure fatidique, la réalité la frappa de plein fouet : dans ce monde-là, Tara avait été assassinée et Willow était devenue une meurtrière.

La sorcière crut qu’elle allait vaciller à cette idée mais elle sentit un corps derrière elle la retenir et un bras entourer sa taille. Sans même se retourner, elle sut que Tara venait de se glisser derrière elle pour lui apporter son soutien.

« Nous pensons que cette réalité est le fruit d’un vœu de Willow » entendit la rouquine juste derrière elle alors que Tara s’adressait au démon vengeur d’une voix légèrement tremblante.

D’Hoffryn se contenta de hocher la tête en regardant Tara avec un sourire légèrement amusé.

« Bonne déduction de la petite amie » admit-il.

« Willow voudrait reprendre son vœu » continua la sorcière blonde, d’un ton qu’elle voulut plus ferme mais qui dérailla notablement sur le dernier mot.

D’Hoffryn les dévisagea elle et Willow plusieurs secondes sans rien dire. Puis sans se départir de son flegme, il déclara simplement :

« Ce n’est pas ce que je crois. Ce n’est pas l’impression qu’elle me donne. »

« C’est pourtant ce qu’elle veut »

Buffy s’était avancée à son tour aux côtés de Willow et regardait le démon avec toute la détermination que ses forces lui permettaient d’afficher.

« Miss Summers ! » S’écria D’Hoffryn sur un ton clairement moqueur cette fois. « Où avez-vous donc mis votre épée ? Je pensais que vous ne vous déplaciez jamais sans elle ? »

Buffy fronça les sourcils de contrariété mais ne répondit rien.

« Vous étiez plus en forme la dernière fois que nous nous sommes rencontrés » conclut D’Hoffryn en croisant les bras face à la Tueuse.

« La dernière fois, cela ne faisait pas plus d’un an que nous combattions the First et que nos amis mourraient les uns après les autres. Ca finit par mettre un coup au moral. » Rétorqua Buffy d’un ton acide.

« Je suppose » déclara D’Hoffryn après l’avoir considérée curieusement un instant.

Puis il se détourna de Buffy et son attention se reporta sur Willow qui semblait en proie à une violente lutte intérieure.

« Alors, miss Rosenberg, que me voulez-vous ? »

Willow releva les yeux vers lui. Des yeux emplis d’effroi, de désespoir, de questions. Elle semblait désespérément chercher une solution pour échapper à l’horreur de cette situation et ne paraissait pas pouvoir sortir les mots.

« Pourquoi ? » Finit-elle par demander abruptement, sans que la question semble liée à rien de concret.

Mais D’Hoffryn avait apparemment suivi le fil de ses pensées et offrit un sourire compatissant.

« Vous étiez si triste. Vous aviez l’air si désespérée. » Répondit-il. « Un tel désespoir ne peut laisser un démon vengeur indifférent »

« C’est vrai, vous êtes les rois de la compassion ! » Lança Xander d’un ton à la fois ironique et glacial.

D’Hoffryn se tourna vers le jeune homme qui ne pouvait s’empêcher de le regarder avec des yeux où se mêlaient le mépris et la colère.

« Oui, nous le sommes » lui répondit D’Hoffryn simplement, avant de se tourner vers Willow sans plus attendre.

La sorcière regardait à présent le sol sous elle, y cherchant peut-être le courage de formuler sa requête alors que derrière elle, Tara l’entourait tendrement de ses bras, sans quitter le démon vengeur des yeux.

« Je veux reprendre mon vœu »

Willow avait murmuré sa phrase dans un souffle, sans regarder D’Hoffryn et à peine ses mots prononcés, elle se laissa aller plus encore que précédemment dans l’étreinte de sa compagne.

Le maître des démons vengeurs leva les yeux au ciel avant de planter de nouveau son regard d’acier sur la silhouette hésitante de la rouquine.

« Et qu’est-ce qui vous fait croire que je pourrais le faire ? »

« Vous pouvez le faire » statua Giles avec fermeté en s’avançant à son tour dans le champ de vision du démon.

Celui-ci ne lui accorda même pas un regard et adressa sa réponse à Willow qui, elle, fixait toujours ses chaussures.

« Je me suis mal fait comprendre : Oui, je le peux. Mais qu’est-ce qui vous croire que je voudrais le faire ? »

Un silence de mort ponctua cette question à laquelle personne ne semblait avoir de réponse. Et finalement, ce fut Willow qui s’anima. La sorcière releva des yeux un peu trop brillants vers le maître des démons vengeurs et se dégagea des bras de Tara pour s’avancer d’un pas.

« Regardez autour de vous » fit-elle en désignant les alentours d’un geste circulaire de la main. « Regardez ce monde que vous avez créé à ma demande. Qui pourrait se satisfaire de ce chaos ? Pas même vous ? »

D’Hoffryn ne répondit pas immédiatement, puis hocha la tête lentement.

« Vous avez raison. Ce monde ne satisfait pas grand monde. Pas même moi. Mais vous ? Et votre petite amie ? »

Willow ne répondit pas et continua simplement de regarder fixement le démon en serrant les dents aussi violemment qu’elle le pouvait.

« Vous savez qu’elle n’a pas le choix de se satisfaire de ce monde, n’est-ce pas ? Car elle n’a pas sa place dans celui dont vous vous souvenez ? Et vous, miss Rosenberg, quel effet cela vous fera-t-il de vous retrouver de nouveau sans elle ? Vous devriez réfléchir, je crois »

Willow sentit une main serrer gentiment son épaule derrière elle et elle n’eut pas besoin de se retourner pour savoir que Tara s’était de nouveau approchée d’elle pour lui apporter son soutien et sa détermination. Willow ferma les yeux une demi-seconde et ne se retourna pas avant de déclarer d’une voix forte :

« C’est tout réfléchi. Je veux reprendre mon vœu »

De nouveau, un silence pesant s’installa dans la pièce, chacun semblant suspendu aux lèvres de D’Hoffryn qui regardait fixement Willow comme pour éprouver sa détermination. La rouquine le fixait avec la même intensité, décidée à ne penser qu’à tout ce que son monde avait de meilleur à offrir. Après quelques instants qui parurent durer une éternité, D’Hoffryn se mit à arpenter la pièce devant Willow et fit mine de réfléchir.

« Bien, je dois avouer que dans ce monde-ci, vous êtes vous-même nettement moins amusante que dans l’autre. Votre sens de la vengeance est une chose brillante et je fonde toujours de grands espoirs sur vous… »

« Ne touchez pas à Willow »

D’Hoffryn s’arrêta une seconde pour considérer Tara qui le regardait d’un air de défi. Air qui n’impressionna pas le démon le moins du monde.

« Je suis au regret de vous dire qu’elle n’a pas eu besoin de moi pour faire des choses auxquelles même mes démons vengeurs ne pensent pas. Elle est brillante. »

Willow sentit Tara tressaillir derrière elle et un sentiment de honte la submergea aux paroles de D’Hoffryn. Et elle ne trouva pas le courage de se tourner vers Tara pour lui offrir un geste ou un sourire rassurant qu’elle se savait incapable d’accomplir.

« De plus… » continua d’Hoffryn, reprenant sa tirade là où il l’avait laissée un instant plus tôt. « Il est vrai que dans un monde aussi chaotique que celui-ci, l’ambiance n’est pas vraiment à la vengeance. Ce qui est regrettable. Mes démons vengeurs s’ennuient un peu ces derniers temps. Et je crains que cela n’aille pas en s’améliorant… »

Il s’arrêta de marcher, revenu de nouveau en face de Willow et plaça sa main sous son menton en signe de réflexion. Il laissa passer un nouveau silence puis regarda de nouveau Willow bien en face.

« Je crois que nous avons tous à gagner à reprendre ce vœu. » Fit-il finalement. « Enfin, presque tous » ajouta-t-il en jetant un coup d’œil à Tara.

Willow entendit des soupirs de soulagement autour d’elle et se força à regarder ses amis un à un. Giles serrait légèrement Dawn contre lui alors que Xander et Buffy avaient immédiatement eu un geste vers la rouquine et l’avaient attirée dans leurs bras. Seul Spike qui était resté en retrait durant toute la scène, semblait ne pas manifester de réaction mais Willow crut malgré tout déceler un léger sourire sur ses lèvres.

La rouquine se dégagea rapidement de l’étreinte de ses deux meilleurs amis pour se tourner vers Tara. Celle-ci n’avait pas bougé de sa place antérieure et elle offrait à Willow un sourire timide que cette dernière tenta de lui rendre, appréciant les efforts que faisait Tara pour dominer ses émotions et combattre les larmes qui lui montaient aux yeux. La rouquine attira la blonde contre elle et saisit son visage entre ses mains. Ses yeux plongèrent dans l’azur de ceux de Tara avant qu’elle ne dépose baiser après baiser sur le visage de sa petite amie qui ne put retenir plus longtemps le flot de larmes qu’elle contenait.

Quelque part, comme un vague bruit de fond, la voix de D’Hoffryn parvint aux oreilles des deux sorcières pour lesquelles le monde alentour avait déjà cessé d’exister :

« Que ce qui a été fait soit défait »

Buffy, Xander, Giles, Dawn et même Spike fermèrent les yeux, main dans la main, attendant simplement que le cauchemar s’évanouisse.

Au milieu des potentielles blessées et mourantes, Kennedy aurait bien voulu dormir, mais la souffrance que lui procurait son moignon sale l’empêchait de fermer l’œil et la faisait gémir de douleur à chaque fois qu’elle se retournait pour trouver une position plus confortable.

Plongée dans un sommeil sans rêve, une Faith plus faible que jamais, attendait simplement que la mort survienne. Une part d’elle aurait bien voulu que quelqu’un soit auprès d’elle quand cela finirait par arriver.

A une fenêtre du bâtiment, Chloé regardait dans le lointain dans la direction des tombes de Molly, Vi, Rona et toutes les autres. Sans se douter qu’elle retournerait bientôt prendre sa place dans les ténèbres.

Agrippée à Tara comme une naufragée à ce qu’il reste d’une épave à la dérive, une part de Willow espérait ramener la sorcière blonde avec elle dans sa réalité.

Et inexorablement, ce qui aurait pu être cessa d’être.

***

Kennedy poussa résolument la porte de l’appartement qu’elle partageait avec Willow. Sa main chercha un instant l’interrupteur à droite de la porte et elle alluma la lumière. Elle jeta négligemment son blouson sur le canapé et regarda autour d’elle, cherchant un signe quelconque indiquant la présence de la sorcière. Son ordinateur trônait toujours au milieu de la table du séjour mais il n’avait quasiment pas quitté cette place depuis plusieurs jours, aussi Kennedy n’y prêta pas d’attention particulière. La jeune Tueuse se dirigea vers la cuisine qui était plongée dans le noir elle-aussi et s’aperçut une fois la lumière allumée que rien n’avait bougé d’un centimètre depuis son départ le matin-même. Kennedy se tourna vers l’horloge murale, pendue au-dessus de la table, et fronça les sourcils. Déjà plus de huit heures et Willow ne semblait pas être rentrée du travail.

Kennedy retraversa rapidement le séjour jusqu’à la chambre des deux jeunes femmes. La pièce était elle-aussi plongée dans la pénombre et était restée dans l’état dans lequel elle l’avait laissée en partant.

« Will ? » Appela Kennedy, sachant pertinemment qu’elle n’obtiendrait pas de réponse.

Elle refit un tour de l’appartement à la recherche d’une note que la sorcière aurait laissée indiquant qu’elle rentrerait tard, comme elle avait l’habitude de le faire. Elle ne trouva rien. Elle se dirigea vers le téléphone, et pressa le bouton du répondeur avec espoir en voyant clignoter le voyant indiquant la présence d’un message. La voix hésitante de Dawn qui retentit quelques secondes plus tard dans l’appartement silencieux, ruina ses espoirs.

« Hé, Will… c’est Dawn » disait presque timidement la jeune Summers. « Tu dois sans doute être encore au boulot… J’espère que tu n’oublies pas notre rendez-vous Internet de ce soir. Huit heures, huit heures et quart, comme d’hab ? »

Il y eut un silence, uniquement perturbé par la respiration inhabituellement forte de Dawn.

« Et… on pense à toi » acheva finalement la jeune fille avant de raccrocher.

Un bip strident indiqua la fin du message et Kennedy resta stupide devant le répondeur.

« Que diable se passe-t-il ? » Demanda-t-elle à la pièce vide en se dirigeant vers la table.

Elle s’installa devant l’ordinateur allumé et déplaça la souris jusqu’à voir apparaître le fond d’écran représentant Willow, Xander et Buffy, bien plus jeunes, et plus souriants que Kennedy ne pouvait se souvenir les avoir jamais vus. Elle resta un instant immobile à contempler cette photo d’une Willow aux cheveux plus longs, aux vêtements plus amples, plus colorés, au sourire plus franc, à l’air encore tellement enfantin.

Enfin, elle se tira de sa rêverie et soupira avant de brancher la webcam et de lancer le logiciel de messagerie.

Le visage de Dawn apparut presque immédiatement à l’écran, un sourire léger mais franc sur le visage. Elle eut du mal à cacher sa déception en voyant Kennedy face à elle mais continua de lui sourire malgré tout.

« Ah, c’est toi. »

« Willow n’est pas encore rentrée » l’informa simplement Kennedy.

« Pas encore ? » Demanda Dawn, la surprise évidente sur le visage. « Mais quelle heure est-il chez vous ? Plus de huit heures, non ? »

Kennedy hocha la tête et chercha quelque chose à dire.

« Tu as l’air fatiguée » commenta Dawn.

Kennedy confirma d’un nouveau hochement de tête.

« On a pas mal de boulot en ce moment. »

Elle passa sa main dans ses cheveux et haussa les épaules.

« Et puis… »

« Et puis ? » Interrogea Dawn immédiatement.

« Drôle de journée » fit simplement Kennedy

Dawn fronça les sourcils.

« Comment ça, drôle de journée ? » Demanda la jeune Summers sur un ton légèrement hystérique.

Le trouble gagna Kennedy. L’inquiétude dans le ton de Dawn était trop évident pour qu’elle ne la remarque pas.

« C’est Willow. » avoua Kennedy. « Elle était un peu bizarre aujourd’hui. Vi et Rona pensent que c’est la pression ou la fatigue. Mais je crois que non. »

Kennedy se tut une seconde, repassant sa journée dans sa tête et ne remarqua pas l’air incrédule qu’arborait Dawn.

« Je voulais l’inviter ce soir à faire un break. Tu vois, un resto, un ciné. Un truc sympa et décon… »

« Tu as invité Willow au resto ce soir ? »

L’attention de Kennedy retourna immédiatement à l’écran en entendant le ton consterné de la jeune Summers.

« Oui. Et elle a refusé de façon très étrange. » Grimaça Kennedy.

« Tu as invité Willow au resto aujourd’hui ? » Répéta Dawn, sur un ton ébahi qui laissait transparaître une légère pointe de colère.

« Oui. Et encore oui. Quoi ? Il y a des jours pour inviter sa petite amie au resto ? » Grommela Kennedy que l’attitude de Dawn agaçait plus encore qu’elle ne l’était déjà.

« Et tu t’étonnes qu’elle ait dit non ? » S’exclama Dawn brutalement.

« Pourrais-tu me dire ce qui se passe ? » S’énerva la Tueuse. « Quel est le problème ? »

« Tu ne sais pas quel jour on est ? »

Cette fois, le ton de Dawn s’était radouci et exprimait la surprise et une certaine tristesse.

« Vendredi ? » Offrit Kennedy dubitativement.

Dawn fixa un moment la Tueuse en silence.

« Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de la mort de Tara » cracha-t-elle finalement sur un ton amer. « Cela fait deux ans » ajouta-t-elle rapidement en essayant de contenir le tremblement de sa voix.

Cette révélation laissa Kennedy hébétée sur sa chaise. Elle avait la sensation que la foudre venait de s’abattre sur elle. La Tueuse sentit toute sa colère précédente s’évanouir alors qu’elle était remplacée par un grand sentiment de frustration.

« C’est l’anniversaire de la mort de Tara ? » Murmura-t-elle tout doucement, le choc et la surprise évidents sur son visage.

De l’autre côté de l’Atlantique, Dawn s’enfonça dans son siège et croisa résolument les bras.

« Tu l’ignorais ? » Demanda-t-elle d’un air sévère.

« Oui, oui, enfin… » bafouilla pauvrement Kennedy en regardant autour d’elle, à la recherche d’un calendrier ou d’une horloge.

Finalement, ses yeux retombèrent sur l’écran de l’ordinateur et Kennedy vit la date s’afficher en bas.

« 7 Mai… » murmura-t-elle.

« Comment peux-tu ne pas le savoir ? » S’écria Dawn soudainement furieuse, et que l’émotion de la Tueuse n’émouvait pas le moins du monde.

« Will ne m’a rien dit » protesta faiblement Kennedy.

« Evidemment ! » Rétorqua Dawn en levant les yeux au ciel. « Que voulais-tu qu’elle te dise ? Au fait chérie, rude journée, c’est l’anniversaire de la mort de la femme avec qui je devais passer ma vie ? »

Kennedy flancha légèrement à ces mots et tenta de reprendre sa contenance. Mais Dawn ne lui en laissa pas le temps et ré attaqua sans attendre :

« Tu devrais savoir. » Affirma-t-elle avec force.

« Willow ne parle jamais de sa mort. Elle ne parle même jamais d’elle. Comment aurais-je pu savoir ? »

« Tu devrais savoir » s’obstina Dawn en affichant un air buté. « Tu aurais pu te renseigner, poser des questions. Tu ne te doutais qu’il y avait des jours dans l’année qui seraient plus dur que d’autres à ce sujet ? Comme l’anniversaire de sa mort ? Ou son anniversaire ? »

« Je ne pouvais pas savoir » gémit Kennedy en baissant la tête.

Elle ne souhaitait plus qu’une chose à ce moment là : trouver Willow, s’excuser pour son ignorance et prendre la rouquine dans ses bras et lui promettre que tout irait bien. Tout quoi ? Elle n’en avait aucune idée, mais elle ne souhaitait rien d’autre.

« Dawn ? Tu es avec Will ? »

La voix de Buffy lui fit relever la tête et elle vit la Tueuse blonde entrer dans le champ de la caméra.

« Hé, Kennedy » lui fit-elle en souriant.

La Tueuse sentit dans la voix de son homologue la même pointe de déception qu’avait ressenti Dawn un peu plus tôt lorsqu’elle n’avait pas vu la rouquine apparaître dans son écran.

« Will n’est pas encore rentrée » fit Dawn à sa sœur. « Et elle… » La plus jeune des Summers désignait l’écran et Kennedy qui affichait un air misérable. « Elle ne savait même pas. Pour Tara »

« Oh ! »

« Je ne pouvais pas savoir » se défendit immédiatement la jeune britannique. « Willow ne parle jamais d’elle »

Kennedy vit Buffy lui offrir un sourire compatissant alors qu’elle s’installait à la place que Dawn venait de libérer.

« Je vous laisse » fit la jeune Summers. « Appelle-moi si Willow arrive »

Buffy hocha la tête en adressant un signe de main à sa sœur. Puis elle se tourna de nouveau vers l’écran.

« Ne fais pas attention à elle » fit-elle sur un ton d’excuse. « C’est une journée un peu difficile pour elle aussi. Elle est à cran. Et elle est inquiète pour Willow. »

Kennedy hocha lentement la tête.

« Elle était un peu étrange aujourd’hui » murmura-t-elle. « Je comprends maintenant »

« C’est certainement un jour dur pour elle. » Compatit la blonde. « Elle aura besoin de toi, même si elle dit le contraire. »

Kennedy ne répondit d’abord rien et détailla les traits tirés de Buffy, ses yeux brillants, ses doigts qui jouaient nerveusement avec le rebord du bureau.

« Et pour toi ? » Demanda finalement la Tueuse brune. « Ce n’est pas un jour difficile ? »

Buffy haussa négligemment les épaules et ses lèvres se plissèrent en un léger sourire.

« Il faut bien que quelqu’un soit plus fort pour soutenir l’autre non ? »

Les deux Tueuses se regardèrent un instant en silence, le même air abattu sur le visage, le même sourire hésitant et tordu sur les lèvres. Finalement, Kennedy ne put que hocher lentement la tête en guise de réponse.

***

Willow était finalement rentrée de son escapade nocturne et avait retrouvé le chemin qui la mènerait chez elle, auprès de Kennedy qui, elle le savait, devait l’attendre, inquiète et impatiente.

Mais au moment de frapper le bouton de l’étage dans l’ascenseur de l’immeuble, Willow ne put se résoudre à appuyer sur le bon numéro.

Elle se retrouva sur le toit de l’immeuble sans même y avoir pensé. Elle y venait parfois le soir, les rares fois où elle n’accompagnait pas Kennedy en patrouille ou quand la jeune femme était de sortie avec Vi ou Rona.

Willow se percha sur le rebord d’un muret et s’appuya sur le mur derrière elle, repliant ses jambes devant elle et les emprisonnant dans ses bras. Puis elle appuya son menton sur ses genoux et ferma les yeux.

« Alors, miss Rosenberg, des regrets ? »

Willow ne sursauta pas en entendant la voix de D’Hoffryn qui venait de surgir de nulle part à côté d’elle.

La rouquine repensa à son étrange journée. Elle revit le sourire de Tara, ressentit son étreinte, la douceur de sa peau contre la sienne, sentit son odeur emplir ses narines et voulut se perdre dans ces doux souvenirs.

« Je me suis souvent demandée à quoi ressemblerait le monde si elle n’avait pas été tuée » répondit lentement Willow. « Maintenant je sais. »

« Et ce n’est pas vraiment ce que j’avais imaginé » conclut-elle.

« Vous me semblez aussi désespérée que plus tôt » remarqua D’Hoffryn. « Plus encore même. »

Willow ne répondit pas, ne tourna même pas la tête vers le démon et se contenta de fixer un point de lumière dans le lointain.

« Pourquoi est-ce que je me souviens ? » Demanda abruptement Willow. « Giles avait dit que je ne me souviendrais pas ? »

D’Hoffryn ne put s’empêcher de sourire.

« Vous auriez du me demander à moi. J’ai une certaine affection pour vous Miss Rosenberg, disons que c’est un petit traitement spécial… »

« Je pourrais faire de vous le plus grand démon vengeur de tous les temps. Vous pourriez faire un nouveau vœu… » reprit le démon.

« Non » répondit fermement Willow, toujours sans bouger. « C’est toujours non »

D’Hoffryn la considéra un moment en silence, semblant attendre qu’elle finisse par changer d’avis. Finalement, il soupira et reprit :

« Vous êtes bien aussi têtue qu’Anyanka le disait de vous. Je vais donc vous laisser. Mais si vous changez d’avis, vous savez où me trouver »

Willow ne le regarda pas disparaître. De nouveau seule, elle renversa sa tête en arrière, et autorisa les larmes à couler sur son visage, alors que tout son corps tentait de se souvenir de la sensation de Tara qui l’embrassait, il y avait si peu de temps.

Quelques étages au-dessous d’elle, Kennedy tournait comme un lion en cage, tentant en vain de faire taire son angoisse, des milliers d’idées confuses jouant dans son esprit torturé.

Alors qu’au-dessus de la tête de la rouquine, le ‘grand ananas’ semblait briller de tous ses feux, indifférent à ses tourments intérieurs.

 

 Fin.